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Noël 2021

Publié le

Naissance d'un Sauveur : le Progrès

En 2016, je vous avais proposé une promenade en Provence pour découvrir l'histoire de la création, en 1847, du célèbre Minuit, chrétiens et pour faire la connaissance de l'auteur de son texte, Placide Cappeau (qui n'était certainement pas aussi pieux que son œuvre, et qui était sans doute un Frère).

Cette année-là, et aussi en 2017, je vous en avais aussi proposé des pastiches maçonniques.

Aucun de ces pastiches ne cachait son inspiration musicale, puisqu'ils affichaient franchement air du Noël d'Adam.

Contrairement à celles-là, la chanson que je vous propose cette année n'affiche pas qu'elle utilise cet air, mais elle le donne à penser, d'une manière qui semble plus que vraisemblable.

Voyons donc le texte de cette chanson, intitulée Présent, Passé, Avenir, et dont chacun des 3 couplets, bien dans l'esprit messianique de la maçonnerie française de l'époque, correspond effectivement (par son thème, mais aussi par la succession de la conjugaison au passé, au présent et au futur) à l'un des mots de cette triade :

1.

Maçonnerie, de ton passé sublime
Nous reçûmes l'esprit de Liberté
Dès ton berceau, ton esprit magnanime
A l'esclavage, apprend l’Égalité.
Tu fus dès lors en butte à la puissance
Qui profitait du vice et de l'erreur.

Les vieux Maçons combattaient l'ignorance
Et du Progrès recherchaient la faveur
Oui, du progrès recherchaient la faveur.

2.

Mais aujourd'hui, la tâche est bien comprise
Et vers ton but convergent les esprits
Nos ennemis, les pasteurs de l’Église
Sont restés seuls ... et contrits.
Du Vatican, si la foudre s'élance
Des ris moqueurs remplacent la Terreur.

Tous les Maçons combattent l'ignorance
Et du Progrès recherchent la faveur
Et du Progrès recherchent la faveur.

3.

Un jour viendra où, dans notre Patrie
Chacun pourra penser en liberté
Et l'institut de la théocratie
Sera changé en libre faculté.
Ah ! c'est alors que, remplie d'espérance
Postérité, tu iras au bonheur

Car les Maçons combattent l'ignorance
Et du Progrès chercheront la faveur
Oui, du Progrès chercheront la faveur.

Comme d'autres chansons maçonniques à l'époque, cette chanson, créée en 1866, répond manifestement à l'excommunication fulminée par le pape Pie IX en 1865 contre les maçons, ces malfaisants qu'il allait qualifier de synagogue de Satan.

Ligou, qui a publié ce cantique, mentionne seulement air connu, mais sans préciser ; à quel air connu fait-il ainsi allusion ? Une visiteuse du site (que je remercie de cette contribution et félicite de son flair) m'a suggéré ... le Minuit, Chrétiens.

Comparons en effet la forme des deux textes : dans les deux cas, 3 couplets de 8 vers (avec redoublement du 8e) de 10 pieds.

Mieux encore, comparons les rimes entre notre chanson (à gauche) et le texte d'origine (à droite) :

Ah ! c'est alors que, remplie d'espérance
Postérité, tu iras au bonheur
Car les Maçons combattent l'ignorance
Et du Progrès chercheront la faveur (bis)

Le monde entier tressaille d'espérance
A cette nuit qui lui donne un sauveur
Peuple, à genoux attends ta délivrance,
Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur !  (bis)

Serait-ce un hasard que, dans les 3 couplets de notre chanson et dans 2 des 3 du texte original, les rimes soient en -ance et en -eur ?

Si l'on se rappelle en outre que Présent, Passé, Avenir fut créé, comme le signale Ligou, un ... 20 décembre (à la loge mancelle La Rose du Parfait Silence, loge qui était alors un pilier de la propagande anticléricale), on n'aura sans doute plus guère de doutes ....

C'est donc le Progrès qui est présenté ici comme le Sauveur d'un monde où la Science, censée générer ce Progrès en chassant l'ignorance, supplante la Religion, accusée de l'entretenir : nous sommes bien en plein XIXe siècle scientiste.

Le peuple des loges est debout pour faire advenir le Progrès qui délivrera le monde, alors que le peuple des églises reste à genoux pour attendre sa délivrance d'un rédempteur extérieur : voilà la croyance naïve qui  est professée à l'époque, et dont on retrouve de multiples expressions dans le chansonnier maçonnique.

Les maçons, locomotive du Progrès ?

Que des maçons se considèrent alors comme des Amis du Progrès, on en a un bel exemple dans la création d'une loge de ce nom à Bruxelles en 1838.

Celle-ci choisit comme emblème ce qui, aux yeux de ses fondateurs, constituait sans doute le plus beau symbole du Progrès dont ils se réclamaient : une locomotive !

ll faut savoir que l'inauguration de la première ligne de chemin de fer en Belgique, Bruxelles-Malines, avait eu lieu en 1835 - 3 ans donc avant la création des Amis du Progrès - et avait constitué un événement mémorable attirant (comme on le voit à cette image) la grande foule et frappant les imaginations.

Après avoir fêté (en musique !) en 1845 son fondateur Defacqz, devenu Grand Maître du Grand Orient de Belgique, la loge fusionna en 1854 avec la plus ancienne loge de Bruxelles, les Vrais Amis de l'Union, dont la médaille représentait deux mains entrecroisées.

Le résultat de cette fusion, Les Vrais Amis de l'Union et du Progrès Réunis, est encore aujourd'hui une des plus importantes loges bruxelloises.

Sa médaille réunit toujours les symboles des deux loges fusionnées 176 ans plus tôt.

Travailler au Progrès de l'Humanité, comme l'affichent tant de loges, reste bien de nos jours l'Utopie maçonnique.

La franc-maçonnerie s'efforce d'« améliorer l'homme et la société » et de « rassembler ce qui est épars ». Se voulant le Centre de l'Union, elle oeuvre « au progrès de l'humanité » en faisant advenir « ordo ab chao », ainsi que le déclarent ses rituels. Chimère pour les uns... Rêve réalisable pour les autres...

(extrait de la 4e de couverture de L'utopie maçonnique, améliorer l'homme et la société par Céline Bryon-Portet et Daniel Keller, éd. Dervy )

Joyeux Noël !

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