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Maestro et Grand Maître ? (4/4)

Publié le par Jean-Pierre Bouyer

S'il est certainement, en tant que musicien, le moins intéressant (et le moins réputé) de nos quatre Grands Maîtres compositeurs, le dernier (dans l'ordre chronologique) de cette série (commencée le 28 janvier) sera par contre certainement le plus connu par les maçons français ayant un minimum de culture historico-maçonnique.

Fils du général Anne-François Mellinet (qui était selon son fils un maçon très zélé), Emile Mellinet (1798-1894) est surtout connu pour sa carrière militaire, commencée très tôt (à 15 ans, il était déjà lieutenant dans les gardes nationales d’active de la Loire-Inférieure) et terminée comme général après qu'il ait été un protagoniste de la conquête de l'Algérie et des guerres de Crimée et d'Italie.

Il fut aussi le Grand Maître du Grand Orient de France, de 1865 à 1870 : il avait été élu en remplacement du Maréchal Magnan décédé (et qui lui n'avait pas été élu, puisque désigné autoritairement par Napoléon III alors même qu'il était profane) et avait fait regagner au Grand Orient un peu d'autonomie vis-à-vis du pouvoir. En 1870, il renonça à une réélection qui semblait pourtant acquise.

Mellinet, lui, même s'il avait été peu actif avant son élection (il a déclaré à ce moment qu'il était resté longtemps sans pratiquer, mais il s'est alors affilié à la Loge parisienne des Coeurs Unis), était maçon de longue date.

Précoce comme militaire, il avait aussi été précoce en maçonnerie, puisqu'il figure en mars 1817 au Tableau de la Loge nantaise Mars et les Arts avec la mention Mellinet jeune, officier en activité : il avait été initié à 16 ans en 1814 avec dispense d'âge.

Même si nous n'avons trouvé aucune trace de ses oeuvres musicales, il fut également compositeur : Wikipedia écrit que passionné de musique, il contribue à l'organisation des musiques régimentaires et compose quelques morceaux qui sont très goûtés des Nantais, et Claude Kahn écrit en 1990 (dans un article, publié dans les Annales de Nantes et du pays nantais, sur sa statue nantaise qu'on voit ci-dessus), que c'est un musicien, il joue de la flûte, compose quelques morceaux de musique et contribue à l'organisation de musiques régimentaires.

Le dernier Grand Maître ?

Mellinet devait être le dernier Grand Maître du Grand Orient.

En 1870, écrit Wirth, le Frère Babaud-Laribière (NDLR : successeur de Mellinet) n'accepta la Grande Maîtrise que pour préparer la suppression de cette dignité.

Effectivement, le Convent de 1871 entérina cette proposition de suppression et, à partir de ce moment la plus haute autorité du Grand Orient ne fut plus dénommée le Grand Maître mais bien le président du Conseil de l'Ordre.

Dans son Dictionnaire amoureux de la franc-maçonnerie, Alain Bauer écrit en effet :

En France, le titre de Grand Maître a disparu pendant une période. En 1871, le Grand Orient, cédant à l'air du temps révolutionnaire et social, a remplacé le Grand Maître par le président du Conseil de l'Ordre, fonction réduite à une dimension purement administrative.

L'intention, profondément démocratique, n'était pas seulement de supprimer les appellations féodales qui blessent les principes d'égalité et de fraternité, mais aussi de manifester que le temps était révolu des pouvoirs quasi régaliens restés trop longtemps attachés à un tel titre. Etait-ce là céder à l'air du temps (comme c'est dit avec condescendance !) ou bien entrer dans une démarche progressive ?

Toujours est-il que cette belle résolution sombra corps et biens en 1945. Bauer continue en effet :

Il faudra attendre 1945 pour que le Grand Orient revienne sur cette suppression. Lors du premier Convent de l'après-guerre, le Frère Francis Viaud ouvrira les travaux le matin en tant que président du Conseil de l'Ordre. L'après-midi, il redeviendra Grand Maître, sans plus d'explication.

L'explication, serait-elle celle donnée par J.-M. Quillardet dans une interview (le 3 septembre 2008, à Lyon Capitale) : On dit Grand Maître parce qu'on est aussi un conservatoire de traditions.

Explication convaincante, n'est-il pas ? Faudrait-il donc conserver toutes les traditions sans se soucier de savoir si elles sont ou non justifiées, si elles sont porteuses de sens et transmettrices de valeurs ... ou de mauvaises habitudes ?

Une Franc-maçonnerie d'Ancien Régime ?

L’obédience en tant que telle n’a donc aucune valeur ni qualité initiatique ou symbolique. Ses pouvoirs sont d’ordre uniquement administratif.

Daniel Ligou, Dictionnaire de la franc-maçonnerie

Mais Alain Bauer, lui, propose une autre explication ... qui me semble encore plus contestable. Il poursuit en effet en écrivant :

Soucieux de prendre en compte la double dimension de la fonction, j`ai fait voter au Grand Orient de France en 2001 un dispositif dans lequel le Grand Maître initiatique est également le président du Conseil de l'Ordre administratif.

Où diable Alain Bauer a-t-il été pêcher qu'au XXIe siècle, dans l'aile libérale de la maçonnerie, une Obédience, et a fortiori son Grand Maître, fût susceptible de détenir une compétence initiatique ???

Dans l'Ancien Régime, le Roi très chrétien avait une double fonction, temporelle et sacrée. Symétriquement, certains Grands Maîtres auraient-ils la nostalgie d'un temps où ils auraient une compétence initiatique en sus de la compétence administrative qui seule justifie leur existence ?

Peut-être après tout, si l'on en juge par cet extrait d'un discours adressé en décembre 2007 par Jean-Pierre Servel à François Stifani, en Tenue de Grande Loge de la Grande Loge Nationale Française :

... le Grand Maître, ultime trait d’union entre les hommes et Ce qui les dépasse, ultime trait d’union entre les hommes et Dieu, Grand Architecte de l’Univers, est ... à la fois la plus haute autorité de l’obédience et le plus fidèle serviteur de la Tradition.

Vous avez dit Grand Maître ... ou Grand Prêtre ?

Dans la franc-maçonnerie moderne, on considère que la seule entité qui ait la capacité et le pouvoir de transmettre l'initiation maçonnique, c'est la Loge.

Des Obédiences plus jeunes, et sans doute plus fidèles à l'esprit de simplicité maçonnique, ont en tout cas adopté des libellés tels que Président du Conseil National (Loge Nationale Française) ou Président de la Commission administrative (Lithos CL). Pas de sedia gestatoria pour le Grand Maître dans ces Obédiences-là ...

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