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Cantates (1/2)

Publié le par Christophe D.

Interprète et musicologue, Christophe D. est bien connu des visiteurs du site mvmm, puisque c'est lui qui séquence les fichiers sonores des partitions présentées sur certaines de ses pages, qu'il rend ainsi plus vivantes.

Je suis heureux de présenter ici la pr emière partie de l'étude qu'il a consacrée aux cantates maçonniques de Clérambault et de Lemaire.  (JPB)

 

LES FRANCS-MAÇONS

COMMENTAIRE SUR LES CANTATES DE CLERAMBAULT ET LEMAIRE.

Les maçons contemporains ne se doutent pas de la grande quantité de chansons composées pour toutes les circonstances de la vie d’une loge. Souvent, l’historien les retrouve agrégées dans des recueils divers. Ce sont parfois les mêmes d’une compilation à l’autre.

Ainsi, dans les multiples éditions de ces florilèges, trouve-t-on plusieurs fois une série de quatre cantates dans le même ordre :

  • Cantate Le triomphe de la maçonnerie
  • Cantate les Francs-Maçons de Clérambault (1743)
  • Invocation à Astrée - Cantatille pour la fête de la Saint Jean
  • Cantatille Les francs-maçons de Lemaire (1744).

Les textes sont connus, mais seules les musiques de deux d’entre elles nous  sont parvenues pour l’instant : la cantate de Clérambault et la cantatille de Lemaire. Elles sont quasiment contemporaines, respectivement 1743 et 1744. La franc-maçonnerie de l’époque était un sujet d’inspiration.

Même titre, même époque, mais qu’en est-il de la musique ?

Si les textes illustrés par les compositeurs sont différents, quelle approche particulière en ont-ils ?

Comment ont-ils organisé leur œuvre ? Se retrouvent-ils dans leur art ?

A l’origine, la cantate est une pièce chantée. Devenue forme musicale, elle évolue en plusieurs parties, à une ou plusieurs voix, parfois avec un chœur, accompagnée au clavier ou par l’orchestre. Elle est destinée au concert ou à l’église, jamais au théâtre.

En ce sens, elle est proche de l’oratorio et contemporaine de la naissance de l’opéra.

Chaque pays l’a progressivement adoptée et adaptée selon ses propres critères. Ainsi, en Allemagne, la cantate est-elle surtout un genre religieux (cf les nombreuses compositions de J.S. Bach).

En France, la cantate est plutôt profane (entendre sans thème religieux). En y introduisant des éléments dramatiques, la cantate française devient un opéra miniature.

On parle bien de « cantate française ». Elle est créée par Bernier et Charpentier dans la dernière partie du XVIIè siècle, après leur retour respectif d’Italie. Le caractère « français » est directement inspiré du style italien et paradoxalement en opposition au genre imposé alors par Lully. Des récitatifs alternent avec des airs, inspirés des modèles italiens.

Les sujets peuvent être mythologiques, des allégories historiques (Clérambault écrit « Le soleil vainqueur des nuages, cantate allégorique sur le rétablissement de la santé du Roy » !), comiques ou utiliser des scènes issues de la Bible.

Le texte établit le plan des pièces. Les librettistes fixent peu à peu la forme en une alternance de trois récitatifs et de trois airs (la symbolique maçonnique est totalement étrangère à cela !)

La plupart des grands compositeurs de l’époque ont contribué à la cantate française : Campra, Montéclair et Clérambault.

Les francs masçons – cantate à voix seule et Simphonies composé par Mr Clerambault Paris 1743.

Louis-Nicolas Clérambault (19 décembre 1676 – 26 octobre 1749) doit sa précocité de compositeur à son appartenance à une grande lignée de musiciens.

Il occupa d’importants et prestigieux postes d’organiste. Il contribua notamment à faire passer l’orgue liturgique vers l’orgue de concert. Il s’est construit une solide réputation avec ses cantates pour voix seule (cinq livres répertoriés et des pièces isolées), traitant de sujets principalement mythologiques. Il favorise lui-même dans sa musique, l’esprit français, développé par les maîtres de sa génération que sont Couperin et Rameau.

Il était naturel qu’un musicien aussi en vue que lui rencontrât les musiciens les plus célèbres de son temps. Ainsi, côtoya-t-il Jacques-Christophe Naudot, flûtiste virtuose et éminent maçon de la première heure (en France). Naudot participa à la création d’une des premières loges françaises, nommée Coustos-Villeroy en décembre 1736.

Clérambault fut présenté par le flûtiste, dans cette loge, dès le 23 mars 1737.

Le frère Louis-Nicolas composa en 1743 « une cantate à voix seule et Simphonies » intitulée simplement « les francs masçons ».

Dans la tonalité générale de Si bémol Majeur, le découpage de l’œuvre suit exactement la forme de la cantate française, en trois parties. Chacune d’elle divisée en deux : un récitatif précède un air.

Le registre de la voix d’homme est celui du baryton (entre basse et ténor).

Le chant est accompagné par la basse continue chiffrée réalisée au clavecin dont le grave est doublé par un violoncelle.

Les airs sont introduits par une ritournelle de violon, rejouée comme une respiration instrumentale entre les parties chantées.

La voix du récitatif s’inspire de la déclamation théâtrale.

Clérambault construit les airs en respectant la forme de l’aria Da Capo. Après l’introduction par le violon, le chanteur expose une première période puis une deuxième (dans une tonalité voisine) en apportant un peu de diversité et rechante la première partie après la ritournelle de violon.

Pour clarifier cette analyse, prenons par exemple le premier air de la cantate.

La voix, après l’introduction instrumentale chante :

Partie A

Du haut du céleste Empyrée,           /
La Vertu nous dicta des lois. (Bis)                              /   Bis                   

Et quittant la voûte sacrée,          /
           Parmi nous la divine Astrée      /   Bis
Parôit une seconde fois.             /

La ritournelle de violon revient et annonce la partie B :

Loin du faste et de l'imposture,
Nous formons de sages désirs.

Une volupté toujours pure,                         /    
                   Les sentiments et la Nature,          /     Bis
     Nous fournissent les vrais plaisirs        /  

Le violon conclut brièvement et le chanteur revient à la partie A (sans reprise de la première phrase cette fois) :

Du haut du céleste Empyrée,           /
                   La Vertu nous dicta des lois. (Bis)            /    Bis                   

Et quittant la voûte sacrée,          /
           Parmi nous la divine Astrée      /   Bis
Parôit une seconde fois.              /

Nous avons donc une forme tripartite A-B-A, dite aria Da Capo ou air avec reprises.

Clérambault utilise le même principe dans les deux autres parties.

Le compositeur adapte le caractère de la musique au texte, bien évidemment.

Ainsi, dans la première partie, Clérambault chante les vertus de la franc-maçonnerie.

Clérambault guide les musiciens par « Simphonië gaÿ et moderé ». La mesure est à trois temps. L’interprétation suit l’évocation des vertus idéales de la franc-maçonnerie, l’âge d’or d’Astrée, les plaisirs simples de la nature …

(Le compositeur s’amuse un peu : lors de la première présentation de la première phrase, les mots Empirée et Astrée se terminant par la rime « rée », il les fait chanter sur la note ré - en clé de Fa !)

 

La deuxième partie fait clairement allusion aux persécutions dont l'Ordre est l'objet.

L’air est vif (aucune allusion météorologique) à deux temps. Le texte est tourmenté. Les attaques contre la maçonnerie sont odieuses. La musique souligne la furie, la barbarie, le souffle perfide de la calomnie. Le tempo est « endiablé », le jeu du violon agité.

L’air comme expliqué plus haut est Da Capo (A-B-A).

La troisième partie a un but de clarification face à la méfiance manifestée par l'autre sexe. Il s'agissait à la fois de justifier l'exclusion des femmes de la franc-maçonnerie et de confirmer l'amour que leur vouaient cependant les frères.

L’air Da Capo, après le récitatif introductif, est noté « Simphonie, Gaÿ, et gracieux ». Le style est plus « galant », plus apaisé. La part dévolue au violon est nettement plus importante que dans les deux parties précédentes. On a pratiquement une partie de violon concertant.

La coupe rythmique à trois temps (comme le premier air) ajoutée aux chapelets de triolets du violon donne à cette aria des allures de faux rondo final. La musique est enlevée, propre à conclure une œuvre.

La tonalité générale de la cantate est Si bémol Majeur.

La partie centrale est en Fa Majeur (dominante de Si bémol).

La dernière portion nous ramène en Si bémol.

NB : les tonalités données sont le cadre dans lequel le compositeur va employer son savoir-faire, son métier. Par le jeu des modulations (changement de tonalités), il évite la monotonie qu’engendrerait l’usage d’une seule tonalité.

(à suivre)

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