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Faux Frères ?

Publié le par JP Bouyer

Il nous faut nous méfier de ce qu'il nous ferait plaisir de croire. Voilà une sentence (de Philippe Autexier) que beaucoup feraient bien de méditer avant de publier - on en trouve d’innombrables sur le web - des listes de maçons célèbres où, tombant dans le piège du wishful thinking, ils se montrent plus soucieux de prendre leurs désirs pour des réalités que de véritable rigueur historique.

En nous limitant - puisque c'est l'objet de ce blog - aux musiciens, un des plus souvent cités est Beethoven (1770-1827). Pourtant, rien ne prouve formellement qu’il ait été maçon, malgré certains indices - à vrai dire fragiles, tel le fait que sur une des feuilles d'esquisse de l'adagio de son quatuor n° 7, on relève une inscription manuscrite de sa main : Un saule pleureur ou un acacia sur la tombe de mon frère. Les grands musicologues maçons se sont très peu fraternellement étripés sur cette question, notamment Roger Cotte (qui y croyait fermement), Gérard Gefen et Philippe Autexier (qui donnent d'autres indices - lesquels semblent plus convaincants - en sens inverse). Mais cela n'empêche pas que des textes maçonniques aient été plaqués sur certaines de ses partitions, notamment par Wegeler (ci-dessous)

Wegeler

On trouve aussi régulièrement cité le nom de Giacomo Puccini (1854-1924), le compositeur de Tosca, La Bohême et Madame Butterfly, lequel n'a pourtant rien à voir avec la maçonnerie : il s’agit dans ce cas d’une confusion assez grossière (plus d'un siècle d'écart !) avec Niccolò Piccinni (1728-1800), qui fut membre de la célèbre Loge des Neuf Sœurs à Paris, où il dirigea la partie musicale lors de la grandiose cérémonie d'hommage funèbre à Voltaire, le 28 novembre 1778. Même un auteur aussi réputé qu'Elisabeth Badinter est tombé dans ce piège (cfr p. 98 de Mme du Châtelet, Mme d’Epinay ou l’ambition féminine au XVIIIe siècle, Flammarion 2006).

Certains auteurs donnent Karoly Goldmark (1830-1915) comme maçon, et considèrent même son opéra la Reine de Saba comme un opéra maçonnique. Mais aucun ne donne de détails à l'appui de cette affirmation, qui n'est sans doute rien de plus qu'une légende ...

Une page - heureusement maintenant disparue - du site de la Gran Logia Provincial de Canarias avait même recensé ... Chopin parmi les musiciens maçons !

Beaucoup de listes citent aussi, tout aussi erronément, Niccolo Paganini (1782-1840), peut-être par confusion avec un homonyme beaucoup moins célèbre, mais qui lui était maçon, Ercole Paganini (1770-1825).

Aucune preuve documentaire n'existe à ma connaissance de l'appartenance du célèbre inventeur du saxophone, Adolphe Sax (1814-1894). Un document de demande d'initiation a été retrouvé dans les archives de la Loge bruxelloise les Vrais Amis de l'Union, sans que celles-ci mentionnent de suite. D'autres suites éventuelles devraient être recherchées à Paris, où Sax se fixa en 1842, et où il fréquenta des maçons, dont Hyacinthe Klosé (1808-1880), membre des Frères Unis Inséparables (une loge dont les Tableaux sont riches de nombreux musiciens) et le belge Jean-Baptiste Singelée (1812-1875), membre des Amis Philanthropes, qu’il convainquit tous deux de composer pour son instrument afin d’en assurer le succès.

Mais revenons à notre époque et rappelons les noms de trois grands de la chanson française, qu'on trouve souvent cités :

Contrairement à une légende très répandue, Jacques Brel n'a certainement pas été maçon !

Non plus d'ailleurs que Léo Ferré, parfois cité également ... notamment par un dictionnaire des francs-maçons français qui, voici quelques années, a dû être retiré de la vente quelques mois après sa parution en raison d'un procès intenté à l'éditeur et gagné par sa veuve Marie-Christine Ferré, aux motifs que cet ouvrage faisait état de l'appartenance maçonnique du chanteur et qu'aucune trace de cette appartenance n'a pu être trouvée dans les diverses recherches demandées par la demanderesse à différentes obédiences et produites par elle.

... ni que Georges Brassens ! Ce n'est pas pour rien qu'il a chanté :

Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on
Est plus de quatre on est une bande de cons.
Bande à part, sacrebleu ! c'est ma règle et j'y tiens.

 

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