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Bonne année !

Publié le par JP Bouyer

Comme étrennes, en ce 31 décembre 2016 (qui tombe un samedi), j'évoquerai un événement qui s'est produit voilà exactement 200 ans, le 31 décembre 1816 (qui était, lui, un mardi).

Comme chacun sait, l'année maçonnique commence (quoique pas nécessairement pour tous les Rites) au 1er mars. Beaucoup de Loges, quand leur jour conventionnel de rencontre tombe la veille, en profitent pour organiser une festivité censée durer ... jusqu'à minuit - en tout cas symboliquement : il vaut mieux éviter de veiller tard si l'on travaille le lendemain.

Mais cela permet d'affirmer qu'on a franchi ensemble les portes, non du Temple de Janus, mais bien du Nouvel An maçonnique.

Le 1er janvier par contre ... est bien un jour férié. Cela n'est pas neuf : en 1810 en France, un avis du Conseil d'Etat spécifiait que le premier jour de l'année n'est pas du nombre des quatre fêtes [NDLR : Noël, l'Ascension, l'Assomption et la Toussaint] qui, d'après le concordat, doivent être observées indépendamment des dimanches ; mais que, dans le fait, le jour a été, depuis l'an 13, considéré comme une fête, et observé comme tel quoiqu'il ne tombât point le dimanche, et ce dès lors qu'il est compté parmi les fêtes de famille par la grande majorité des Français. Au premier jour de l'an, à l'époque, on faisait donc la fête ... en famille.

Mais que faisait-on, non pas le 1er janvier, mais au soir du 31 décembre ? Un réveillon comme de nos jours ? La coutume ne semble s'en être généralisée que plus récemment.

Nous avons par contre des traces de Tenues maçonniques en date d'un 31 décembre.

L'une d'elles mérite bien d'attirer notre attention, d'autant plus que c'en est aujourd'hui l'exact bicentenaire.

On sait que de nombreuses troupes étrangères furent stationnées en France de 1816 à 1818 ; les habitants les considéraient, soit comme des troupes d'occupation rappelant l'humiliation de la défaite, soit comme des libérateurs ayant débarrassé le pays d'un régime de malheurs et de guerres incessantes et meurtrières.

Après avoir juré pendant des années une inébranlable fidélité à Napoléon, les maçons français s'étaient sans état d'âme ralliés au régime restauré, qu'ils assurèrent, avec une égale détermination, d'un dévouement tout aussi définitif. Ils fraternisèrent donc abondamment avec les officiers de ces troupes, parmi lesquels ils trouvèrent de nombreux maçons et en recrutèrent aussi de nouveaux.

Beaucoup de militaires anglais en cantonnement à proximité de Boulogne-sur-Mer fréquentaient à ce moment les Travaux de la Loge de cet Orient, St-Frédéric[k] des Amis Choisis.

Ney

Cette Loge avait été fondée en 1767 sous les auspices de la Grande Loge et en tant que Loge militaire ; en 1788, elle avait été reconstituée par le Grand Orient.

Ironie de l'histoire : quelques années avant la fête ici narrée, elle s'était enorgueillie de la visite du Frère maréchal Ney, commandant du camp de Montreuil qui était, près de Boulogne, un des Camps où Napoléon préparait l'invasion de l'Angleterre.

Serait-ce pour désennuyer ces Frères anglais éloignés de leurs foyers que la Loge prit en fin 1816, sur la suggestion de son Premier Surveillant le Frère Boulongne, lequel avait dit que c'était le moyen de bien finir et de bien commencer l'année, une décision qui apparaît comme assez inhabituelle : fixer au 31 décembre la célébration traditionnelle de sa Saint-Jean d'Hiver (fête dont la date est le 27 décembre selon le calendrier liturgique)?

Le Procès-Verbal de ces Travaux, qui a été imprimé à l'époque, est disponible sur Google. On y voit que les visiteurs étaient particulièrement nombreux, venant de Dunkerque, de Boussu, de Versailles, de Toulon, de Calais et du Havre, mais aussi bien entendu de Grande-Bretagne. Le programme en était chargé, puisque pour commencer deux profanes ont été successivement reçus. On entendit ensuite plusieurs discours et la lecture par le Frère Hédouin, Orateur-adjoint, de sa pièce de vers intitulée Le Portrait du Maçon, commençant par les aimables vers suivants :

 Amant de la philosophie,
   Sur un chemin couvert de mille fleurs,
Le maçon parcourt cette vie
En cherchant le plaisir, en fuyant les douleurs.
De la morale d'Epicure
Il suit toujours les douces lois ;
    Ses guides sont l'honneur et la nature :
Il aime à céder à leur voix.

(on trouve souvent le nom d'Epicure dans le chansonnier maçonnique des XVIIIe et XIXe siècles).

Fraternisation franco-britannique oblige, cette Tenue mettait particulièrement en honneur l'Amitié (le sentiment le plus précieux qui puisse exister parmi les hommes selon le mot du 1er Surveillant), tant par le discours d'ouverture du Vénérable que par l'hymne qui la concluait très lyriquement, juste avant le Banquet :

Fille des cieux, doux charme de la terre,
Sainte Amitié, présent des immortels,
Tous les maçons t'adressent leur prière,
Et couvrent de fleurs tes autels.

Oui, l'amitié, semblable à l'immortelle,
Sur les beaux jours, comme sur les hivers,
A chaque instant, vient d'une main fidèle,
Verser tous les charmes divers.

Le monde entier est son vaste domaine.
Et sous les cieux tout par elle est lié ;
Du grand pouvoir dont l'univers s'enchaîne
L'attraction est l'amitié.

Mes chers amis, sur le soir de la vie,
Quand de nos jours pâlira le flambeau,
Que l'amitié, de sa main si chérie,
Nous soutienne jusqu'au tombeau.

Au cours de ce Banquet, on put évidemment entendre de nombreuses chansons. Voici un couplet de l'une d'entre elles, chanté sur l'air J'ai vu partout dans mes voyages :

Aussitôt que naîtra l'aurore,
Doit naître aussi le nouvel an :
De l'an qui passe un jour encore
Est à nous, ah ! profitons-en !
Chantons, rions, mes très-chers frères,
Qu'ici nous trouve le matin,
Remplissant et v
idant nos verres.
« Il faut faire une bonne fin. »

Ce Banquet fut particulièrement festif, puisqu'y régna, selon ce Tracé, la gaieté la plus vive, la plus franche, et qu'il présentait l'aspect d'une fête de famille, où les Maçons anglais et français, réunis par les préceptes d'un Ordre qui a pour base la concorde et la paix, se donnèrent plusieurs fois des marques de leur fraternelle amitié.

Mais sur ces entrefaites minuit profane sonnait et l'année 5817 commençait : le Vénérable ... fit parcourir le baiser de paix, avec ces mots : Amitié ! Bonheur ! En ce moment, les transports de la joie la plus pure étaient unanimement répandus : des vœux pour le bonheur général et pour le bonheur particulier se firent entendre, et l'Atelier présenta un spectacle si beau, si touchant, qu'il porta jusqu'aux hommes les plus graves une douce émotion, dont la plus froide austérité n'aurait pu se défendre.

Le devoir de philanthropie ne fut pas oublié puisque la Loge avait arrêté précédemment qu'une abondante distribution de pain aux indigents de la ville aurait lieu dans le même temps que la célébration de la fête de l'Ordre. Elle eut la satisfaction d'apprendre que les dispositions prises à cet égard avaient reçu leur entière exécution. Ainsi, les Maçons en s'unissant par la bienfaisance aux efforts de toutes les associations philanthropiques, commencèrent l'année sous les auspices de la paix, de la concorde et de l'amitié fraternelle.

Après cette réunion de tous les sentiments les plus purs d'union, de cordialité et d'estime, chacun se retira en bénissant le Grand Architecte de l'Univers.

Organiser un Banquet de Loge le 31 décembre n'est cependant pas une exception à cette époque : on peut voir ici que la Loge la Fidélité d'Alençon avait fait de même en 1809 et ici qu'à son tour la Loge brugeoise des Amis du Nord fera pareil en 1820.

Pour ce qui me concerne, où que se passe votre réveillon, je vous souhaite comme le Frère Boulongne de trouver le moyen de bien finir et de bien commencer l'année ... et surtout de bien la continuer !

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